Croissance et convergence des petites économies insulaires du bassin Caraïbe : une analyse dans le cadre de la cointégration fractionnaire
Issaka Dialga  1@  , Alain Maurin  1, *@  
1 : CENTRE DE RECHERCHE EN ECONOMIE ET DROIT DU DEVELOPPEMENT INSULAIRE
* : Auteur correspondant

L'exercice de l'évaluation empirique de la convergence des économies régionales ou nationales rattachées à un pays ou une zone géographique demeure indiscutablement une problématique de grande importance au sein de la littérature économique des décennies 1980-2000[1] et également plus récentes. Elle a connu un ralentissement avant de connaitre un regain d'intérêt ces dernières années. La raison majeure en est que le phénomène de convergence du revenu et de la production par tête est l'un des bénéfices les plus attendus par de nombreux chefs de gouvernements et autres décideurs qui sont acteurs des différents processus d'intégration régionale à travers le monde.

Avec l'exemple de référence que représente l'Union européenne, il est certain que les mouvements d'unification de pays tels que l'Association des Nations de l'Asie du Sud-est (ASEAN), l'Accord de libre échange nord-américain (ALENA) ou le Mercosur ont été à l'origine de retombées positives qui sont sources de croissance et facteurs de rattrapage des économies initialement les plus défavorisées.

Fort logiquement, en amont de la signature des traités instaurant ces unions, comme celle du traité de Maastricht le 7 février 1992 et du passage effectif à l'euro le 1er janvier 2002, la littérature économique s'est faite l'écho d'un débat riche et controversé au sujet des gains issus de la constitution d'une zone d'intégration économique et monétaire. Autour et en prolongement des travaux depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, notamment Lucas (1988), Krugman (1991) et Krugman et Vanables (1995), une pléiade d'auteurs ont argumenté tantôt pour souligner les effets favorables de l'intégration régionale (stimulation de la concurrence, pression sur les prix à la baisse, favorise l'innovation, création de trafic, économies d'échelle,...) tantôt pour mettre en relief ses conséquences préjudiciables (détournement de trafic, elle permet aux pays les plus riches de conforter leur position,...). De ce débat, l'on peut retenir que les difficultés rencontrées lors de la constitution d'une zone d'intégration ne doivent en rien freiner l'ardeur des pays concernés, car les gains qu'offre l'appartenance à une zone de libre-échange ne sont jamais nuls. Il apparaît clairement que l'intégration, malgré les difficultés qu'elle peut générer, est souvent nécessaire dans les régions où il existe des disparités entre les pays, tant en terme de croissance que de revenu. Et plus encore, il apparaît que l'intégration a davantage de chance d'aboutir à la convergence entre les pays si chacun cherche à développer son secteur industriel à l'intérieur d'un marché plus vaste, protégé par un tarif extérieur commun.

A l'échelle de la zone géographique des Caraïbes, cette problématique globale de l'intégration régionale et les sujets d'importance qui en sont liés (intensification du processus de la CARICOM, monnaie unique, coopération régionale, etc.) ont évidemment cristallisé les réflexions des chercheurs et des hommes politiques. Les contributions scientifiques et rapports officiels récents (Lewis 2022; Lewis, Gilbert-Roberts and Byron (2022) ; Dookeran 2015; King and King 2014; Savoye 2023) suffisent pour témoigner des enjeux et des avis sur la demande d'amplification des relations intra-régionales.

En ce début de troisième décennie du nouveau millénaire, la situation de persistance des disparités des niveaux de vie est une réalité qui caractérise encore les pays caribéens. Ainsi, en 2023, le PIB par tête de Haïti et celui de la Jamaïque représentent respectivement environ 9% et 41% du PIB par tête moyen de la quinzaine des pays du CARICOM tandis que pour des pays comme la Barbade et les Bahamas, ce pourcentage s'élève à plus de 136% et 231%. L'observation des performances macroéconomiques sur longues périodes fait également ressortir des évolutions de revenus par tête fortement contrastés. Des pays de l'OECS sont globalement unis par une dynamique de croissance comparable, certains pays comme Cuba, la République Dominicaine et la Jamaïque ont connu des indicateurs de performance modestes ou situés en dessous de la moyenne et, à l'inverse, d'autres îles comme la Barbade et la Martinique se distinguent par leurs résultats au dessus de la moyenne.

Le questionnement central qui fait l'objet de notre propos est de savoir si les trajectoires de croissances des Etats de la Caraïbe, reflétant entre autres les effets de leurs politiques en matière d'intégration régionale, ont permis l'émergence d'un phénomène de rattrapage qui permettrait aux économies les plus en retard d'enregistrer des taux de croissance plus élevés ?

On comptabilise un nombre considérable de travaux théoriques et appliquées qui se sont centrés sur cette thématique au cours de ces vingt à trente dernières années. De manière caricaturale, ils s'appuient sur deux familles de méthodes pour mener le test de l'hypothèse de convergence des économies : d'une part les approches basées sur des régressions en coupe transversale du taux de croissance moyen expliqué par le revenu par habitant initial et, d'autre part, celles fondées sur l'étude du comportement des séries temporelles des écarts des PIB par tête des pays concernés.

Dans le cas spécifique des pays de la zone Caraïbe, appréhendée sous des périmètres plus ou moins larges, allant de petits ensembles de pays unis dans un processus d'union tel que l'OECS, à des regroupements plus importants comme le CARICOM ou l'AEC, il importe de souligner que la littérature économique consacrée à la validation empirique de cette notion de convergence n'est pas très dense. De même, comme éclairage principal, les résultats mis en avant font généralement état d'une non convergence, tant au niveau de la convergence réelle (voir par exemple Craigwell et Maurin (2011), Escobari (2011)) que nominale (Craigwell et Maurin (2022).

Nous nous intéressons dans cet article à la convergence réelle. En se référant aux discussions sur la comparaison des deux visions de la convergence évoquée précédemment, notamment les points de vue développées par Quah (1996) et Bernard et Durlauf (1995, 1996) qui mettent en avant la suprématie de la seconde sur la première, nous proposons une application de l'approche par les séries temporelles dite approche de la convergence stochastique. Plus précisément, nous examinons la convergence économique des pays caribéens en termes de revenu réel par habitant en recourant à des stratégies de test de plus en plus utilisées (voir entre autres Kamal et Arteche (2024) et Malmierca-Ordoqui, Gil-Alana et Bermejo (2024)), fondées sur des modèles de mémoire longue et mettant en œuvre les concepts d'intégration et de cointégration fractionnaires.

 

Références

 Bernard A. et Durlauf S., (1995) : « Convergence in international output », Journal of Applied Econometrics, 10, pp 97-108.

 Bernard A. et Durlauf S., (1996), « Interpreting tests of the convergence hypothesis », Journal of Econometrics, 71 pp 161-173.

 Craigwell R., Maurin A., (2011), Are Caribbean Countries Diverging or Converging? Evidence from Spatial Econometrics", Journal of Business, Finance & Economics in Emerging Economies, Vol. 6 No.1, 2011, pages 160-206.

 Craigwell R., Maurin A., (2022), " A Study of Economic Cycles in the CARICOM Free Trade Area: Situation, Challenges and Lessons ", pp. 85-110, Chapter 5 in Patsy Lewis, Terri-Ann Gilbert-Roberts and Jessica Byron ed., Caribbean Integration: Uncertainty in a Time of Global Fragmentation. 2022. UWI Press.

 Dookeran, Winston. 2015. “A New Frontier for Caribbean Convergence: Integration without Borders.” In Crisis and Promise in the Caribbean. Routledge.

Escobari D. 2011.“Testing for stochastic and β-convergence in Latin American Countries”. Applied Econometrics and International Development vol 11-2.

Kamal, M., & Arteche, J. (2024). Do Spanish regions converge? A time-series approach using fractional cointegration. Applied Economics, 1–14. https://doi.org/10.1080/00036846.2023.2293089.

King, Mary K., and St Clair King. 2014. “Convergence of Caribbean Economies: A Critique.” Caribbean Journal of International Relations and Diplomacy 2 (4). https://journals.sta.uwi.edu/ojs/index.php/iir/article/view/515.

Krugman P., 1991, « Increasing Returns and Economic Geography », Journal of Political economy, Volume 99, N°3, June, pp. 483-499.

Krugman P. (1991), « The move to Free Trade Zones », American Federal Reserve bank, Kansas City, decembre 1991.

Krugman P. et Venables A. J. (1995), « The Seamless world : a spatial model of international specialization », CEPR Discussion Paper series n° 1230.

Lewis, Patsy. 2022. Caribbean Regional Integration: A Critical Development Approach. London : Routledge. https://doi.org/10.4324/9781003207597.

Maria Malmierca-Ordoqui & Luis A. Gil-Alana & Lorenzo Bermejo, 2024. "Private and public debt convergence: a fractional cointegration approach," Empirica, Springer;Austrian Institute for Economic Research;Austrian Economic Association, vol. 51(1), pages 161-183, February.

Quah D., (1996), “Empirics for economic growth and convergence”, European Economic Review, 40 pp 1353-1375.

Savoye, Bertrand. 2023. “La convergence économique au prix de déséquilibres croissants. Trajectoires économiques comparées des DOM, des régions de l'Hexagone et des autres RUP.” In La convergence économique au prix de déséquilibres croissants, 1–46. Papiers de recherche. Paris Cedex 12 : Éditions AFD. https://www.cairn.info/la-convergence-economique-au-prix-de-desequilibres-croissants--1000000149010-p-1.htm.

[1] Voir le Top 1‰ des sujets les plus traités : https://ideas.repec.org/top/top.item.nbcites.html



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